Jacques Fromental Halévy, La Juive, fin du 1er Acte de la Juive,; estampe signée « LB », 1835.
Musique de Jacques Fromental Halévy, sur un livret d'Eugène Scribe, créée en 1835, Opéra de Paris.
La Révolution française puis le Consulat avaient permis que les pratiquants de la religion juive puissent s’intégrer de plein droit à la société française. Ils n’avaient plus besoin de s’habiller différemment, n’étaient plus exclus des fonctions publiques, il ne pesait plus sur eux d’interdiction civile ou militaire. L’affaire Dreyfus à la fin du xixe siècle montrera pourtant comment les préjugés contre les juifs étaient restés vivants. Autant que les tristement célèbres épurations et déportations du milieu du xxe, autant que les manifestations d’antisémitisme encore présentes, hélas, de nos jours.
La juive est à ma connaissance, le premier et seul opéra qui s’empare de la « question juive » pour en dénoncer l’injustice. L’ebreo (Apolloni/Boni, La Fenice, Venise, 1855) la traite aussi, mais pour en renforcer les poncifs antisémites (juif pervers, fille juive qui « reconnaîtra la supériorité de la religion chrétienne », etc.), suivant la tradition où s’abreuve Le marchand de Venise shakespearien.
Jacques Fromental Halévy, La Juive, opéra d'Ostrava, 16 novembre 2002.
Bien sûr Halévy/Scribe, comme il se devait en pleine période romantique, évoque l’Histoire. Les amours entre une femme juive et un homme chrétien pendant le Concile de Constance sont le prétexte pour tracer un portrait ardent d’une fille et un père juifs harcelés par la foule. Ne serait-ce la belle mélodie que Halévy lui prête, le discours d’amour et de tolérance du cardinal De Brogni pourrait passer pour de l’hypocrisie. Certes, cela tombe juste après la révolution de 1830, l’Église Catholique semble encore incarner l’absolutisme du roi déchu, et le nouveau roi, Louis-Philippe, issu d’un compromis entre la grande bourgeoisie et les révolutionnaires, a tout intérêt à se montrer libéral et doucement anti-clérical. Il y a même intérêt à flatter les grandes fortunes juives, tels les Rothschild. Dans ce climat il est bon de se montrer finement sceptique en matière de religion. Et Halévy est lui-même juif ; né pendant le consulat, il est conscient des humiliations légales endurées dans le passé par les juifs. En ce sens, La juive est pour lui un « cri du coeur ». Ce qui expliquerait en partie la « vérité » de sa partition.
Mais le public est très majoritairement catholique. La violente diatribe contre l’intolérance de l’Église traditionnelle aurait pu froisser nombre de spectateurs et surtout de spectatrices, gardiennes souvent de la morale et de la religion…
Il n’en fut rien. La juive fut un triomphe à son époque, un triomphe qui ne se démentit pas pendant des lustres. Les plus grands compositeurs, Wagner ou Mahler inclus, en firent l’éloge. Et il serait opportun de se demander si le régime nazi n’est pas ici arrivé à ses fins en bannissant du répertoire un tel chef-d’œuvre.
Voir aussi hors mariage
Frédéric Léolla
10 avril 2025
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Dimanche 13 Avril, 2025 3:14